En finir avec l’instrumentalisation des femmes musulmanes

La prochaine votation sur la naturalisation facilitée pour la troisième génération a généré de vifs débats et une affiche avec un goût de déjà-vu. C’est sans complexes que l’UDC ressort son fond de commerce: une affiche avec la représentation d’une femme portant un voile intégral. Passée la consternation, il est temps de revenir sur le sexisme et le racisme que véhicule ce type de représentation.

La prochaine votation sur la naturalisation facilitée pour la troisième génération a généré de vifs débats et une affiche avec un goût de déjà-vu. C’est sans complexes que l’UDC ressort son fond de commerce: une affiche avec la représentation d’une femme portant un voile intégral. Passée la consternation, il est temps de revenir sur le sexisme et le racisme que véhicule ce type de représentation.

L’UDC vise, une fois n’est pas coutume, à entretenir une vision jouant sur des peurs et des stéréotypes malheureusement bien ancrés dans notre société. A ce titre, nous pouvons déjà nous interroger sur cette affiche qui apparaît en décalage avec les propos de la votation. Quel pourrait bien être le lien subtil entre la naturalisation facilitée et l’islam? Ah, c’est vrai, l’islam représente cet «autre» étranger par essence. Nous devons surtout nous interroger sur l’incessante instrumentalisation de ce symbole – la femme musulmane voilée, en burqa de surcroît – et de ses effets sur les femmes de confession musulmane.

La Suisse n’échappe pas aux débats entourant le port du voile et ses différentes déclinaisons, et, dans certains lieux, il a déjà été question de se prononcer pour légiférer à ce propos. Faisons un bref récapitulatif. En Suisse, le débat sur l’interdiction touche deux aspects distincts: le milieu de l’éducation et le type de voile. En l’occurrence, le port de la burqa – très anecdotique en Suisse – a déjà été interdit au Tessin, et pourrait l’être dans toute la Suisse. En matière d’éducation, le port du voile est autorisé pour les élèves mais pas pour les enseignantes. Certains établissements scolaires, notamment à St-Gall, ont voulu l’interdire, mais ils ont dû faire marche arrière. Bientôt ce sera vraisemblablement au tour du Valais de se confronter à cette question.

Revenons maintenant sur le fond du problème. Derrière les combats visant à restreindre le port du voile voire à l’interdire, il existe toujours un discours bien rodé dont le prétexte est la défense des droits des femmes. Cet intérêt soudain pour le droit de ces femmes en particulier s’accompagne d’une terminologie faisant référence aux valeurs d’égalité et de liberté. Des valeurs porteuses d’une haute charge symbolique, sur lesquelles personne n’est prêt, bien entendu, à revenir. Le souci est que, dans ces discours maintes fois recyclés, ces valeurs sont prises en otage et irrémédiablement associées à une certaine vision de l’Occident. Le débat démocratique est ainsi verrouillé.

Pour ne pas rester dupe de ce discours, creusons un peu plus loin. Ce qui est frappant, si on s’arrête sur les propos tenus par les personnes voulant interdire le voile, c’est l’obligation faite aux femmes d’une certaine manière de se présenter en public, sous couvert d’une prétendue volonté de promouvoir leurs droits. Le discours raciste basé sur la différence culturelle détourne et instrumentalise de plus en plus le droit des femmes. Des droits qui d’ailleurs passent souvent à la trappe. A ce titre, il est toujours amusant de constater que les personnes qui se font soudain les chantres de l’égalité hommes-femmes quand il s’agit de dévoiler les Musulmanes ne sont souvent pas ceux qui montent au créneau pour défendre l’égalité salariale.

Sous le prétexte de l’égalité et d’autres valeurs hautement symboliques on en vient à stigmatiser les femmes portant le voile, voire à les exclure. On leur reproche une non-adhésion aux valeurs fondatrices des démocraties telles l’égalité et la liberté. Et pour cela on les sanctionne. Cependant on oublie un élément fondamental, le libre arbitre de ces femmes qui, dans certaines situations, font le choix de porter le voile. Un choix qui reflète une adhésion à ces valeurs. Avoir le droit de porter le voile, ou du moins de décider de ce choix appartient à celles qui le portent.

Au regard de ces éléments il devient compliqué de se positionner pour une quelconque interdiction.
L’instrumentalisation des femmes musulmanes soulève à la fois des problématiques de racisme et de sexisme: on peut parler ici d’intersectionalité ou d’intrication du racisme et du sexisme. En effet, le débat sur l’interdiction du voile met en avant une forme de racisme culturel où le voile est le synonyme d’une culture fantasmée dans laquelle les hommes seraient réduits à des agresseurs et les femmes à des objets de soumission. Tout se passe comme si le patriarcat n’était que l’apanage de l’islam et que les valeurs occidentales préservaient les femmes de toute violence sexiste.

Ceci occulte les disparités de genre présentes dans la société suisse, cantonne le sexisme à l’islam et présente les personnes de ces communautés comme «culturellement arriérées». D’ailleurs, si, dans ce débat, certaines intéressées revendiquent porter le voile en accord avec un choix personnel, elles sont considérées soit comme manipulées, soit comme manipulatrices; dans les deux cas elles représentent un repli identitaire considéré comme menaçant pour les droits humains.

La parole des femmes voilées elles-mêmes est rarement entendue ou relayée. Ces femmes, directement concernées, se retrouvent à l’état d’objet autour duquel s’engage une lutte symbolique. Le libre arbitre, fondateur de la vie en démocratie, leur est confisqué. Cette confiscation est le reflet d’une société patriarcale qui, fidèle à son paternalisme, décide pour les femmes musulmanes; décide si et comment elles doivent se libérer et de qui. En d’autres termes, au centre de cette polémique, on retrouve un nouvel avatar de l’éternel contrôle social exercé sur le corps des femmes. Enjoindre aux femmes une norme de comportement et de présentation de soi sur laquelle s’établit la viabilité de toute une société est d’un classique affligeant.

Ainsi, se positionner contre l’interdiction du voile revient finalement à accepter un contrôle social du corps féminin en général, et du corps des femmes voilées en particulier. C’est se rendre complice des agressions verbales et physiques et des sanctions matérielles, en termes d’emploi ou de scolarité notamment, dont peuvent être victimes ces femmes. Comme souvent, ce sont les femmes qui sont surveillées et punies.

Nous refusons qu’on stigmatise certaines communautés sous prétexte de lutter contre l’oppression des femmes, alors qu’on démantèle les droits de toutes en faisant fi des réalités sociales et matérielles auxquelles les femmes doivent faire face: la violence conjugale, les inégalités salariales, le harcèlement, etc.
Il est peut-être temps de se demander comment se solidariser davantage pour faire avancer les droits pour toutes.

Pour Feminista,
Emmanuelle Anex et Céline Dessarzin