En réaction à l’article paru dans Le Temps sur le syndrome d’aliénation parentale (SAP), qui nous a sidérées

Conjointement avec Viol-Secours, nous avons rédigé cette réponse en réaction à l’entretien publié dans Le Temps concernant le Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP) (25 janvier 2017). Nous avons envoyé cette lettre au courrier des lectrices et lecteurs, mais elle n’a pas été publiée par Le Temps.

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Alors que la plupart des pays européens sont en train de faire marche arrière afin de retirer la notion fallacieuse de « syndrome d’aliénation parentale » de leur arsenal judiciaire, votre article donne la sensation que la Suisse découvre ce prétendu syndrome plusieurs décennies après le reste du monde.

Le SAP postule que tout parent peut être potentiellement « aliénant ». Théoriquement, il pourrait donc s’agir du père ou de la mère, dans une vision présentée comme neutre. Néanmoins, la pratique nous renvoie à une réalité très genrée : dans la majorité des cas, c’est la mère qui obtient la garde des enfants et de ce fait, devient suspecte d’être le parent « aliénant ». Richard Gardner, l’inventeur de ce « syndrome », proposait comme thérapie de choc de confier la garde totale de l’enfant au parent « victime de diffamations » de la part du parent « aliénant ». Cela a souvent débouché sur des situations où un père violent et/ou abuseur se retrouvait avec la garde de l’enfant (raison pour laquelle l’enfant ne souhaite généralement plus voir son père). Les conséquences de l’application du SAP au niveau des tribunaux de la famille ont été désastreuses, car les mères cherchant à protéger les enfants d’un père abusif se retrouvaient, au nom du SAP, accusées de manipulation.

Parler des violences subies dans le cadre familial et ne pas être cruE et/ou considéréE peut être extrêmement traumatisant. Sortir du silence demande du courage, et une reconnaissance des victimes est nécessaire pour soigner les blessures dues aux agressions. La parole des enfants doit être entendue avec sérieux, il faut les protéger et se demander alors : qui sont les véritables victimes du SAP ?

Depuis les années 2000, dans les pays où le SAP a été introduit dans les formations professionnelles, les spécialistes de l’enfance et de la protection des victimes dénoncent le danger que cette arme de distorsion juridique représente au regard de la protection des enfants.

Ni l’OMS, ni le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), ni aucune association professionnelle de spécialistes de la santé ne reconnaît le SAP comme étant un véritable syndrome. Les recherches de Gardner en restent au stade d’hypothèses non-démontrées et sont vivement contestées par ses pairs. D’un point de vue juridique, dans le monde anglophone, l’usage du SAP a été rejeté par la Cour d’Appel d’Angleterre et du Pays de Galles, ainsi que par le Ministère de la Justice du Canada. En France, le recours au SAP est proscrit par une fiche du Ministère de la Justice en tant que concept infondé médicalement. Le gouvernement espagnol en a également banni l’usage au niveau officiel.

Il nous semble dès lors incroyable qu’une publication telle que la vôtre ne fasse mention ni des controverses qui entourent ce « syndrome », ni de l’absence de fondement scientifique qui le caractérise.

Feminista (Lausanne) & Viol-Secours (Genève), 2 février 2017

POUR ALLER PLUS LOIN

Romito Patrizia, Crisma Micaela, « Les violences masculines occultées : le syndrome d’aliénation parentale », Empan, 1/2009 (n° 73), p. 31-39. A lire en ligne ici

(Résumé de l’article: Le Syndrome d’aliénation parentale (sap) est utilisé pour expliquer les situations où, après une séparation, le parent auquel l’enfant a été confié, généralement la mère, s’oppose aux contacts père-enfant, allant jusqu’à le dénoncer pour violence sexuelle. Ces dénonciations seraient toujours fausses, fruits d’un endoctrinement de la mère sur ses enfants. Ce « syndrome » est pourtant très controversé : il n’a reçu aucune approbation de la part de la communauté scientifique et parmi ses partisans, beaucoup ont une position proche de la pédophilie. L’objectif de cet article est de décrire le contexte au sein duquel est né ce « syndrome » et de montrer qu’il s’agit bien d’une stratégie pour occulter la violence contre les femmes et les enfants, à une époque caractérisée par un néonégationnisme de la violence.)