La Suisse en retard en matière de législation sur le viol – Agissons !

Article publié par Gauche Hebdo le vendredi 25 mai 2012, par Delphine Roux

Des associations et institutions genevoises veulent modifier le code pénal et étendre la définition du viol.

L’article 190 du code pénal suisse, qui traite de la question du viol, décrit celui-ci comme un « acte sexuel » subi par « une personne de sexe féminin » et le punit théoriquement d’une peine privative de liberté d’un à dix ans (avec ou sans sursis). Légalement, en Suisse, un homme qui viole une femme avec un objet ou ses doigts, un homme qui viole un homme ou une femme qui viole une femme, encourt actuellement une peine moins grave qu’un homme qui viole une femme. Une aberration légale que le Service pour la promotion de l’égalité entre homme et femme de l’Etat de Genève (SSPE), sur les recommandations du Réseau femmes de Genève (associations féminines et féministes), s’est proposé de modifier. Il a ainsi mis en place une collaboration avec l’association Viol Secours et l’association Lestime (association lesbienne et féministe genevoise). Ce groupe de travail étudie actuellement comment réviser les textes de l’article 190 et de l’article 189, traitant de la contrainte sexuelle. « Il nous paraît très important de proposer un changement de cette loi. L’article 190 découle directement d’une lecture qui a été faite au Moyen Âge, où ce qui était puni était la pénétration, concrètement, d’un pénis dans le vagin, car on craignait une descendance hors de la lignée patriarcale, et non pas la violence exercée sur la femme », explique Amanda Terzidis, collaboratrice à Viol Secours. Concrètement, en terme de peine encourue, cela signifie donc aujourd’hui que toute contrainte sexuelle qui ne correspond pas à la pénétration forcée d’un sexe masculin dans un sexe féminin n’est pas considérée comme un viol. Elle est punie théoriquement d’une peine pécuniaire ou privative de liberté de dix ans au plus par l’article 189. En réalité, les peines de privation de liberté pendant dix ans se font plutôt rares et l’on parle surtout de peine d’un an de privation de liberté pour le viol et d’une peine pécuniaire pour la contrainte sexuelle. « Symboliquement, il y a une différence importante en terme de peine. De plus, le viol en tant que tel est vu comme une contrainte à l’acte sexuel d’un point de vue hétéronormé, dans un sens strictement hétérosexuel. Il faut que soit pris en compte tout type de pénétration avec ou sans objets », ajoute Amanda Terzidis, « et que soit prise en considération la violence sexuelle exercée sur une femme en dehors de toute lecture dominante hétéronormée. »

Viol Secours reçoit également parfois des hommes qui ont été violés par des hommes, viols qui ne sont donc à l’heure actuelle pas considérés comme tels. « La loi ignore complètement les nombreuses autres pratiques sexuelles et nie toute une catégorie de la population, notamment la population qui se reconnaît dans les lettres LGBTI* », rappelle Joëlle Rochat, coordinatrice de Lestime. « En modifiant le texte du code pénal, nous ferons un pas en avant vers une remise en question de l’hétéronorme, c’est-à-dire vers une remise en question du système de genre sur lequel toute notre société est basée. On naît soit homme, soit femme, et en fonction de ce sexe biologique, nous nous conformons soit aux normes du masculin, soit aux normes du féminin. Dans ce système, l’orientation sexuelle est obligatoirement orientée vers l’autre sexe, d’où une définition restrictive du viol. » Des propos qui font écho à ceux émis par le SSPE : « Il s’agit d’actualiser des notions qui souffrent encore d’une grande empreinte des mentalités patriarcales dans la manière de considérer la peine. Le viol ne se restreint pas à la définition donnée dans le code pénal suisse, où seule une femme peut être violée et seul un homme peut être auteur, jamais le contraire », explique Muriel Golay, directrice du SPPE.

La révision possible des articles 189 et 190 ne doit cependant pas être comprise comme une mise en parallèle des violences faites aux femmes et celles faites aux hommes, souligne Amanda Terzidis. « La majeure partie des violences sexuelles ou des viols sont commis par des hommes sur des femmes. » Une symétrisation des violences sous-entendrait que la société actuelle n’est plus dominée par le sexisme, ce qui n’est pas le cas. « Nous vivons toujours dans une société patriarcale et hétéronormée », rappelle Amanda Terzidis. « Il serait temps de penser toutes les autres articulations possibles entre sexe, genre et sexualité et par-dessus tout de les reconnaître à tous les niveaux » conclut Joëlle Rochat.

Ces arguments viennent donc souligner les aberrations juridiques qui découlent directement des articles du code pénal mais également le retard de la Suisse face aux autres pays européens. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a émis à plusieurs reprises des recommandations adressées à ses états membres, dont la Suisse, les sommant de « réviser la législation concernant le viol et l’agression sexuelle pour en faire une infraction sans distinction de sexe. » La France et l’Allemagne ont d’ores et déjà révisé leurs lois pour élargir la définition du viol, modèles dont le groupe de travail pourrait s’inspirer pour porter leurs revendications au niveau fédéral. Ces revendications s’inscriront par ailleurs dans le cadre d’événements entourant le 25 novembre prochain, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.