De l’aliénation publicitaire (III) : C’est l’histoire d’un morceau de viande…

En fait, c’est plutôt l’histoire de plusieurs morceaux de viande tout autant grassement mensongers l’un que l’autre. Et c’est surtout l’occasion d’aborder un premier exemple concret de ce que l’on ne voit plus, ce que l’on croit oublier et dont on prétend fièrement ne pas subir les influences. On pourrait croire ce quelque chose comme n’étant qu’un symptôme anodin, ou anecdotique face aux autres priorités. Mais c’est un symptôme dont l’omniprésence non questionnée prend un tout autre sens dès qu’on y voit le reflet de la force avec laquelle il recompose notre relation à nous-mêmes, aux autres et à notre environnement. Ce quelque chose peut être qualifié de sexisme marchand.

C’est aussi l’histoire de plusieurs formes de mal-être produits en série. De la viande animale infecte issue de la malbouffe industrielle et de la viande humaine prétendument « féminine » mais en réalité bien irréelle et maltraitée. Les deux morceaux se partagent équitablement l’affiche et sont exposés comme autant de modèles différents d’une même ligne de produits de consommation de masse. Mais ne tardez pas à achetez régulièrement et à consommer rapidement car c’est « en exclusivité [et uniquement] pour une période limitée ».

De l’ambigüité de la viande à consommer,…

Sur l’affiche en question Burger King allie à ses aliments dégénérés un mannequin qui l’est tout autant – mannequin au sens premier de présentoir ayant une forme pseudo-humaine – « vêtu » par un simili-nu, tordu dans une position inhumaine bien que prétendant à une porno-sensualité aguichante, le tout étant immortalisé par un photographe « connu » et « réputé » qui produira une matière première, méconnaissable une fois que les retoucheurs de photo lui seront frénétiquement passés dessus à plusieurs reprises.

A cela s’ajoute l’imparable justification par le Concept, c’est-à-dire par une idée censée cadrer et donner sens « artistique » au tout, mais qui s’avère n’être que fade prétexte qui use de l’idée de « culture » pour se protéger de potentielles attaques. On n’aura heureusement pas perdu le temps nécessaire à reconnaitre la prétendue référence à l’idéal machiste et phallocrate qu’incarne James Bond. Et l’on se sera contenté-e de voir trôner à part égales deux produits d’incitation à la consommation suffisamment sans liens entre eux suivant le règlement de la CSL pour faire espérer à l’acceptation d’une plainte pour « sexisme ».

Burger King - Photo

L’intérêt était de voir comment pourrait être justifiée, ou non, une multinationale centrée sur le « fast-food » usant d’un « modèle » qui ne regarde ni ne consomme le produit qu’il est censé mettre en avant par sa « présence ». Une présence dont la CSL même devrait peiner à en justifier la « nudité » sexualisée à outrance comme il est d’usage (mains lascives et baladeuses, bouche entrouverte, regard appuyé, nudité feinte, position de soumission, mise en lien d’un produit de consommation avec une « femme » à consommer soi-même, de préférence avant rupture des stocks,…). Il est à noter que Burger King n’a pas cherché à tenter de se défendre auprès des parties plaignantes afin de se justifier et de convaincre quant aux potentiels retraits des plaintes- au nombre de quatre dans toute la Suisse – ce qui nous prive de leurs précieux égarements argumentatifs.

La plainte fut acceptée sous motif que le lien entre le produit et la « femme » n’est pas justifié, et que cette dernière ne sert en conséquence que d’aguiche décorative dans une publicité qualifiée de « discriminatoire et déloyale »[1] par la CSL. Que cette publicité s’inscrive dans une mécanique sexiste de systématique maltraitance marchande des corps et des imaginaires ne pose pas de problème particulier à la CSL. Tout au plus voit-elle dans cette mise en scène quelque chose de « sexuellement discriminatoire » au sens où la sexualisation du modèle ne présente pas d’aspect utilitaire, et n’en fait donc pas une publicité efficace.

« Du cul pour vendre de la merde »

Mais heureusement, il n’en fallait pas plus pour que cette « victoire » fasse écho dans la « junk-press » romande et nous rende visible le plaisir que provoque chez certains, journaleux ou lecteurs, l’exhibition d’un sexisme décomplexé se parant d’atouts « critiques »[2] et « sensés »[3]. Tout au long de l’article, Mr. Jost ne se prive pas de faire l’éloge paternalisante de la beauté des différentes créatures mobilisées dans les publicités citées en exemples, et y voit finalement plus une raison de défendre la publicité que de l’attaquer : « La pub a beau mettre en scène l’ex-Miss Autriche Anna Hammel et avoir été réalisée par le célèbre photographe Manfred Baumann, elle a été jugée discriminatoire. ». Tout est dit, on ne devrait pas s’opposer à l’association de l’esthétique certifiée et de l’art reconnu – autrement dit, tant qu’on ne nous sert pas de moches boudins mal cadrés, il n’y a pas lieu d’y voir une discrimination valable.

Sentant venir le débat, Le Matin s’est surement dit qu’il serait bon d’avoir l’avis d’une femme, étant donné que, et c’est bien connu, si une femme n’y voit pas de discrimination sexiste, c’est qu’il n’y a pas de discrimination sexiste à y voir. Ce fut chose faite dans l’Edito du même jour, où Mme Bourget se plaint avant tout du « manque d’imagination » des publicistes et trouve une consolation dans le fait que le « sexisme » bien peu créatif de cette publicité « ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà: ces messieurs n’ont, décidément, qu’une chose en tête. »[4]. Ou quand on prétend critiquer le sexisme par toujours plus de sexisme.

Cette « victoire » n’aura finalement que fait confirmer le sexisme marchand qui imprègne tout autant les jugements de la CSL que des « journalistes » qui prétendent s’être penchés sur la question pour nous fournir un énième article basé sur une thématique vendeuse et prétexte – vu qu’on ne parle que de forme(s) – à la satisfaction des clients qui y combleront leurs pulsions voyeuristes que ces mêmes publicitaires nous inculquent et qui servent à faire de nous de bons consommateurs de mal-êtres, perpétuellement insatisfaits de nous-mêmes et des autres. Il est toujours possible de refuser ce statut et de combattre les pulsions de mort de la publicité. Les moyens sont nombreux, les raisons innombrables.

JS

Bonus : « Après l’effort, le réconfort »

Top Cinq: Si vous souhaitez d’avantage d’étalage d’immondices, cet article vous propose d’aller naviguer dans les déversoirs désinhibés que ne peuvent qu’être les zones « commentaires » (87 commentaires) :

  1. « En l’occurrence, il semble avoir échappé à la commission que l’affiche fait référence au classique de James Bond « Goldfinger », à mettre en relation avec leur « Gold Collection ». Si la référence cinématographique avait été n’importe quel autre film, elle n’aurait pas tilté. C’est tout simplement un manque de culture générale totalement consternant. »
  2. « Et oui il y a 40 ans les jeunes gars avaient leurs chambres couverte de photos feminine peu vetu !! Actuellement on veux tout suprimer . Gardons cette situation ou les femmes seront toujours seduisantes et ou une femme est une femme et un homme un homme . Maintenant on ne sais plus qui est qui !! Resultat : mariage pour tous c’est lamantable … »
  3. « Tant qu’une femme « nue » à côté d’un burger fera l’objet de plaintes et qu’un homme nu posera sur les affiches de festivaux musicaux de la région lémanique sans que cela ne pose le moindre problème, on ne peut plus parler d’égalité des sexes.! »
  4. « Après on dira qu’il y a trop de chômage?? Tout le monde y est gagnant en ayant collaboré à cette Pub; de la Directrice ou Directeur du concept, du photographe avec son équipe, la personne qui est photographiée, ensuite viendra les employés qui y travaillerons pour cette société ou enseigne. »
  5. « Il y a un boulot qui s’appelle mannequin. Les femmes qui le pratique, ont le choix d’accepter ou de refuser les campagnes qu’on leur propose. Moi ça me choque plus de voir des femmes en burka se balader à Genève qu’une femme dévêtue faisant de la pub pour gagner sa vie. Après on peut adhérer ou pas à la femme nue et au hamburger, ça s’appelle bon ou mauvais goût. »

Pour le plaisir des yeux : Burger King n’en est pas à sa première publicité suffisamment immonde pour contrevenir aux règles des marchands de mal-être des tyrannies privées: http://www.meltyfood.fr/burger-king-en-4-campagnes-publicitaires-a142802.html


[1] CSL, « C’est la perception du consommateur moyen qui est décisive », http://www.faire-werbung.ch/fr/entscheidend-ist-wie-es-der-durchschnittsadressat-wahrnimmt/