La coupe est pleine… de « footre », ou quand la FIFA arbitre la prostitution

Le jeudi 12 juin dernier a débuté la grand-messe mondiale du football. Les petits yeux des collègues au matin, les discussions interminables sur les fautes d’arbitrage, les commentaires pseudo-humoristiques sur les réseaux sociaux et le chant des klaxons au crépuscule rythment le quotidien, qu’on le désire ou non. Et les médias claironnent encore par-dessus le tintamarre ambiant en relayant les prestations des équipes ou encore en s’inquiétant des nuisances sonores produites par les supporters hébété.e.s par la joie des victoires hasardeuses. En Suisse, même pour un ermite montagnard, il est pratiquement impossible d’éviter le phénomène. Alors au Brésil ?

Les bienfaits d’une lucrative compétition sportive…

Au pays du futebol, aucune échappatoire au mondial ne paraît possible pour les citoyen.ne.s. Malgré la contestation sociale rugissante de ces derniers mois face aux expulsions et destructions des favelas, la flambée des prix, l’endettement public aggravé par les travaux et le renforcement de l’appareil répressif policier, les Brésilien.ne.s subissent ces hôtes-parasites que leur Etat a imploré de venir[1]. Car, la diva FIFA (organisation internationale à but non-lucratif) et ses copines les transnationales (entreprises à but très, très… très lucratif) n’acceptent d’invitation qu’à des conditions strictes et exclusives. Ce chantage des plus consternants atteint son paroxysme dans la signature d’un accord qui impose au pays d’accueil de modifier sa législation pour correspondre aux exigences de la FIFA et ses sponsors. Au Brésil, Budweiser a pu révoquer la loi anti-alcool dans les stades. Tout ce qui freine le Football business est ainsi inexorablement effacé, écarté ou tout bonnement écrasé.

Pour la FIFA, un mondial sans bière est aussi inimaginable qu’un mondial sans bordels. En 2010, cette dernière a exigé du gouvernement sud-africain qu’il libéralise la prostitution et adopte le système des bordels allemands pour la santé et la sécurité des supporters étrangers. Au Brésil avec l’arrivée de la Coupe du monde, la régularisation de la prostitution revient au centre des débats. La question n’est certes pas nouvelle, le Brésil étant une destination très prisée pour le tourisme sexuel et pédophile. Cette réputation a été en partie construite depuis les années huitante sur l’exportation du cliché des Brésiliennes sculpturales et autres danseuses de samba. Et bien que le pays combatte ce phénomène, notamment en interdisant la vente de cartes postales de femmes dénudées depuis 2009, les clichés ont la peau dure. N’arrangeant rien à l’affaire, la venue de la compétition internationale et de ses partenaires commerciaux réinjecte du sang neuf aux stéréotypes vieillis, comme l’illustre le cas des T-shirts Adidas finalement retirés de la vente après l’intervention de groupes féministes.

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Les deux t-shirts d’Adidas retirés de la vente.

Tourisme sexuel : entre sensibilisation et incitation

Malgré le fait que Brésil figure parmi les pays de choix pour les touristes et prédateurs sexuels, la prostitution y demeure illégale. Une peine de prison de cinq ans est prévue pour toute personne exhortant d’autres à vendre leur corps. Toutefois pendant que l’augmentation de la prostitution se poursuit, l’absence de moyens de répression permet aux réseaux maffieux internationaux et autres proxénètes d’exploiter sans crainte femmes et enfants.

En 2011, la police estimait à 250’000 le nombre d’enfants exploités sexuellement. Afin de sensibiliser touristes et supporters sur l’exploitation sexuelle des enfants et d’encourager la dénonciation des crimes, les autorités ont mis sur pied des campagnes d’affichage appelant à la responsabilité individuelle. Entre les bières, l’exaltation de la victoire ou la frustration de la défaite, une affiche suffit-elle à dissuader les supporters à assouvir leurs envies répréhensibles? Ironiquement, la dénonciation de la prostitution enfantine côtoie la publicité (illégale !) pour des bordels sur les murs, internet et dans les journaux du pays.

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Un exemple de publicité pour des hôtels-bordels et une affiche de la campagne contre la prostitution des enfants avec un joueur de l’équipe du Brésil.

 Vers une régularisation de la prostitution ?

Ce paradoxe publicitaire illustre bien la difficulté d’aborder le problème du sexe tarifé. Autant, il est aisé de condamner la prostitution des enfants puisqu’elle est perçue comme une forme d’exploitation possédant un caractère immoral et contraignant. Autant, la critique de la prostitution des femmes est plus compliquée à porter dans l’espace public. Car, entre celles et ceux qui la considèrent comme un choix libre et les partisan.e.s de son abolition, la définition du problème et les solutions divergent diamétralement. Les un.e.s parlent de travailleuses du sexe qu’un statut régularisé protégerait et les autres d’une forme d’exploitation à bannir.

Au Brésil depuis 2013, la voie de la régularisation a été relancée par un projet de loi du député Jean Wyllys, défenseur des droits humains et minorités sexuelles. Cette loi créerait un statut de « professionnelle du sexe » avec un droit de retraite et autoriserait les maisons closes, donc le proxénétisme. La majorité des associations féministes sont opposées à ce projet qui maintient les corps féminins sous la domination du patriarcat[2].

De surcroît, l’efficacité d’une telle loi à diminuer la traite des femmes dans le commerce du sexe est contestable. La régularisation donnerait à la prostitution une allure plus présentable, mais quel impact aurait-elle sur l’exploitation des femmes par des réseaux maffieux ? Les pauvres, les précaires et les milliers de femmes récemment expulsées des favelas ont-elles d’autres choix que de se soumettre à une exploitation sexuelle pour satisfaire les dieux du Foot pendant que l’Etat brésilien minimise les torts subis?

Par solidarité avec les Brésilien.ne.s expulsé.e.s, exploité.e.s, violenté.e.s et tué.e.s par l’Etat, la FIFA et les multinationales, je ne regarderai pas et ne participerai pas (du moins volontairement) à cette foire mondiale faite de millionnaires courant après une balle dans des infrastructures financées par un Etat endetté au détriment de politiques sociales, le tout pour une organisation à but non-lucratif milliardaire qui ouvre toutes les voies aux multinationales pour exploiter la population locale et faire du profit global. Voir les institutions et entreprises internationales dicter leur loi aux Etats sous couvert d’une compétition sportive expose toute l’horreur du capitalisme. Témoins depuis trop longtemps de cet atroce spectacle, quand aurons-nous enfin le courage de nous révolter pour y mettre fin ?

Néanmoins, cher supporter, si l’amour du football t’a conduit jusqu’au Brésil ou devant ton écran, rappelle-toi seulement que rien ne t’oblige à subir le lavage de cerveau de la FIFA et sponsors te poussant à boire de la bière insipide ou à maudire l’adversaire au lieu de haïr les puissants qui nous exploitent. Et surtout, rien ne te force à perpétuer l’exploitation en contraignant par l’argent des femmes à te céder leur corps, car contrairement à la plupart d’entre elles, face à la prostitution tu as le choix.

MT


[1] Tract du collectif la Coupe est pleine, http://paris.demosphere.eu/files/docs/f-ba29785551-empty-fname.pdf, consulté le 14 juin 2014

[2] Site 50/50 les péripéties de l’égalité femmes/hommes, « Brésil : les féministes aussi préparent la coupe du monde de football ! », http://www.50-50magazine.fr/2014/06/10/bresil-les-feministes-aussi-preparent-la-coupe-du-monde-de-football/, consulté le 13 juin 2014.