Le jeunisme

Le jeunisme, un phénomène discriminatoire par excellence. Cela ne touche pas que les femmes, bien sûr. De nombreux hommes, âgés de plus de 40 ans et au chômage, en font l’expérience.

Et pourtant, cette discrimination touche les femmes encore plus durement, du moment qu’elles deviennent mères.

Voici la situation :

Suite et grâce à la situation économique qui depuis bien des années n’est plus celle du plein emploi, de nombreuses personnes, hommes et femmes sont frappés par le chômage et s’aperçoivent ainsi que l’âge est un élément de toute première importance. On parle beaucoup du chômage des jeunes qui, tout juste sortis de formation, ne trouvent pas d’emploi. Toutefois, la jeunesse passe avec le temps, et c’est entre 25 et 40 ans que se situe la période faste.

C’est l’âge qu’il faut avoir pour se faire embaucher, c’est là qu’il faut se faire une situation, dans la trentaine, on peut encore changer, et fort d’une première expérience professionnelle, les possibilités de trouver un emploi bien payé existent.

C’est l’âge aussi où il faut se profiler en politique, briguer des mandats rétribués, autres que le bénévolat au plan communal. C’est l’âge où il faut faire du lobbying, être présent partout, se faire connaître.

C’est l’âge aussi où on fait les enfants, et cela ne produit pas, dans la société dans laquelle nous vivons, le même effet sur la vie d’une femme que sur la vie d’un homme. Si un homme se marie et a un ou des enfants, ce n’est pas considéré comme un handicap, bien au contraire, il a une famille à nourrir. La femme, pour commencer, assume déjà les grossesses, souvent accompagnées de fatigue et quelques problèmes de santé, elle a aujourd’hui droit à un congé maternité payé, mais cela fait quand même une interruption dans son parcours professionnel. Souvent, elle ne reprendra son activité professionnelle qu’à temps partiel, si elle a plusieurs enfants, le temps deviendra toujours plus partiel ou même elle arrêtera, parfois plus de force que de gré, parce qu’elle ne trouve pas d’emploi compatible avec sa vie de famille.

Peut-être voudra-t-elle mener tout de front, enfants, travail à la maison, travail rémunéré, se faire une situation, s’engager dans la société, dans la politique, et elle s’aperçoit que les journées qui n’ont toujours que 24 heures ne suffisent pas. Puis elle culpabilise, car les femmes culpabilisent très facilement.

Après avoir travaillé à temps partiel pendant une certaine période, se enfants ayant grandi, elle se sent en pleine forme, elle voudra maintenant avoir un poste à responsabilités, intéressant, elle reprend peut-être les études ou fait les études qu’elle n’avait pas faites auparavant pour cause de maternité, car enfin sa tête est libérée des soucis quotidiens du genre familial. Et elle s’aperçoit qu’à 40 ans elle est trop vieille. Elle a beau chercher, les trouvailles sont maigres, les salaires aussi. Si elle cherche pendant longtemps, elle deviendra toujours plus vieille, car si la première jeunesse qui constitue parfois un handicap, passe toute seule, il n’en est pas ainsi avec la vieillesse, qui nous est collé sur la peau à 40 ans et qui ne cesse de s’aggraver.

Curieusement, ce jeunisme ne fait ravage que dans le secteur de l’emploi, et non dans le secteur des professionnels indépendants. Bien au contraire, souvent, un certain âge y inspire davantage de confiance. Et personne n’aurait l’idée, en octroyant un mandat à quelque prestataire de service que ce soit, de demander l’âge de la personne qui fera le travail.

Quelle peut être la raison de ce jeunisme discriminatoire pour tous, mais qui frappe les femmes encore plus fort que les hommes ? Il s’agit peut-être de l’héritage du temps passé, où le travail rémunéré était en principe du travail manuel, les ouvriers étaient rapidement usés physiquement, il fallait de la chair fraîche pour faire fonctionner les usines. En ce temps-là, les femmes ne faisaient du travail (très mal) rémunéré que si elles ne pouvaient pas faire autrement, et elles s’usaient encore plus que les hommes avec les maternités à répétition. Et en ce temps-là, l’espérance de vie moyenne se situait autour des 45 à 50 ans.

L’environnement dans lequel nous vivons aujourd’hui a radicalement changé, l’espérance de vie atteint plus ou moins les 80 ans, les femmes ne meurent plus en couches, ont moins d’enfants, les femmes et les hommes sont en meilleure santé pendant plus longtemps. Une femme qui a fini d’élever ses enfants pourrait enfin se consacrer pleinement à sa carrière. Mais la carrière, cela se forge toujours entre 25 et 40 ans.

Birgitta Bischoff