Les mille et une nuits d’Astrée

Notre copine Emilie Snakkers nous propose un article pour mieux connaître cette nouvelle association à Lausanne qui accompagne des femmes victimes de la traite des êtres humains. Feminista salue fortement cette initiative face à un problème croissant dans notre société, sur lequel nous refusons de fermer les yeux.

 

Les milles et unes nuits d’Astrée

 

C’est dans une petite ruelle, sise au centre de la capitale vaudoise, que se trouve le grand appartement où s’est très récemment créé – en octobre 2014  – l’association « Astrée », association de soutien aux victimes de traite et d’exploitation d’être humains. Les activités ont démarré progressivement en janvier 2015. Cette association est dirigée par Anne Ansermet, travailleuse sociale de formation, au profit d’une longue expérience dans l’accueil des publics précarisés et de direction– et plus particulièrement à « Fleur de pavé » qui prend en charge des travailleur-euse-s du sexe depuis bientôt une vingtaine d’années – et par Angela Oriti, juriste responsable de programmes concernant l’accès aux soins et la protection des migrant-e-s à l’étranger et ayant travaillé notamment pour « Médecins du monde ». Ce duo de femmes créatives et entreprenantes a fait preuve de volonté et de courage pour réussir à ouvrir cette nouvelle structure et l’insérer dans le paysage associatif lausannois et suisse romand.

 

On est très rapidement surpris par l’endroit très spacieux et clair, à mille lieues de l’image d’Epinal du foyer d’accueil typique. Quelques chambres joliment aménagées, avec un ou plusieurs lits, sont prêtes à accueillir des victimes de la traite, essentiellement des femmes avec leurs enfants. Les hommes peuvent aussi être hébergés mais à l’extérieur du foyer dans les structures de l’EVAM, selon un accord de collaboration établi avec ce dernier. Au 1er étage, l’espace s’organise autour d’une grande cuisine façon américaine, véritable centre névralgique autour duquel gravitent les femmes, à midi ou le soir venu, chacune concoctant des repas qu’elles partagent ensuite, dans le brouhaha sympathique de leurs jeunes enfants qui s’activent, eux, autour de divers jeux ou donnent des coups de crayon pour exprimer ce qui les habitent, à la mesure de leurs moyens actuels.  Les femmes d’âges différents, s’échangent des confidences et des conseils, les idiomes se mélangeant allégrement, les mimiques gestuelles prennent parfois le relai des mots, pour tenter de se faire comprendre au plus près de ce que l’on sent et de ce que l’on peut exprimer de son parcours à ce moment-là. Un peu plus loin se trouvent les bureaux des directrices et des travailleur-euse-s sociales et de l’infirmière employé-e-s par la structure. Enfin, un escalier étroit mène à une terrasse dont la surface ne demande qu’à accueillir un potager – c’est en projet ! – et dont la vue offre un beau dégagement sur les curiosités historiques de Lausanne.

 

Si l’image d’une colocation multiculturelle et intergénérationnelle n’est pas loin et que la description introductive peut évoquer une véritable tour de Babel avec toute sa richesse culturelle, langagière et humaine, cela ne devrait pourtant pas nous faire oublier le but autour duquel cette association a vu le jour : réhabiliter dans son authentique dignité d’être humain toute personne victime de traite sous toutes ses formes : exploitation de la force de travail, participation forcée à des activités illégales, mariage forcé, prélèvement d’organes, et prostitution forcée. Evoquée de manière plutôt discrète dans les divers médias nationaux, la traite d’êtres humains n’a pourtant pas disparu et a même pris des formes nouvelles, au gré des transformations sociologiques, anthropologiques et a fortiori numériques de notre ère contemporaine, jamais en peine pour produire de nouvelles manières d’emmener l’humain dans des domaines que l’on peine à imaginer et penser quand on n’y est pas directement confronté.

 

« Astrée » s’est donnée divers axes d’intervention, balayant le large champ de l’accompagnement psycho-social d’un public aux divers visages. Ainsi, une permanence hebdomadaire permet aux personnes migrantes de venir chercher une aide administrative, sociale ou juridique – avec le soutien d’un-e interprète si besoin – autour de leur situation afin de mieux appréhender quelles pistes peuvent être envisagées, soit pour les orienter vers le service adéquat, soit pour enrayer ce dans quoi elles sont enfermées ou ce dont elles sont sorties peu auparavant. Divers indicateurs – non possession de papier d’identité et absence de permis de séjour, précarité financière importante, « précarité psychique » liée à un phénomène d’emprise qui réduit la personne victime à se soumettre aux volontés de l’exploitant, en allant jusqu’à nier sa propre subjectivité, violences physiques, psychiques et sexuelles subies, méconnaissance par la personne du lieu où elle se trouve ainsi que de la langue qui y est parlée, méfiance et grande peur de la personne victime face à l’extérieur- permettent de reconnaître les éventuelles situations de traite. Une solution d’hébergement temporaire peut alors être proposée à la personne si nécessaire – au foyer justement – afin que puisse être mis sur pied un programme d’accompagnement individualisé, comprenant la réflexion autour d’un éventuel dépôt de plainte contre celui ou celle qui leur a causé un tort – avant que des solutions d’établissement plus pérennes et à long terme puissent être envisagées et élaborées. Un soutien autour de la santé est aussi proposé et oriente les femmes qui en ont besoin vers des services médicaux spécialisés. D’autres questions sociales, peuvent elles être résolues en lien avec un réseau balisé de partenaires psycho-médico-sociaux, bien connus sur la place vaudoise (Services psychiatriques, PMU, EVAM etc.). Les directrices se sont également donné comme mission d’informer le grand public sur le problème de la traite d’êtres humains, organisant des actions de communication à grande échelle, avec le soutien et en coopération avec des organismes tant nationaux qu’internationaux pour dénoncer au grand jour ce qui est depuis longtemps, très longtemps, resté dans l’ombre, sous prétexte d’un certain aveuglement des autorités mais surtout d’un manque d’information de la population qui a pu croire la traite éradiquée, dans le cadre d’une société si policée… du moins en apparence.

 

 

Emilie SNAKKERS

Psychologue, veilleuse à Astree

 

Site de l’association : http://www.astree.ch/

 

Deux documentaires sur le phénomène de la traite à des finalités d’exploitation sexuelle.

 

« The price of sex » de Mimi Chakarova

http://priceofsex.org/

 

« Chicas nuevas 24 horas » de Mabel Lozano (en espagnol)

http://www.proyectochicasnuevas24horas.com/

 

Voici la bande-annonce avec sous-titres en anglais