De l’aliénation publicitaire (V) : Le sexisme, c’est une affaire de femme

En tentant de varier les angles d’attaque, il est apparu intéressant de se pencher sur le cas d’une publicité usant du sexisme marchand par le biais d’un mannequin – toujours au sens de présentoir simili-humain – prétendu masculin. Cependant, il y a une notice d’emballage à cette approche qu’il convient de poser clairement : il ne s’agit pas de démontrer que « les hommes aussi subissent des violences sexistes » ; contre-« argument » régulièrement avancé par des hommes, souvent en toute bonne foi, dès que la discussion commence à porter sur les discriminations et violences faites aux femmes, et que le mâle croit devoir se défendre en pointant du doigt le fait d’être aussi victime, et non pas un évident responsable passif de ces violences.

Il est clair que le sexisme marchand n’épargne rien ni personne, mais il est tout aussi clair que les violences que peuvent subir les hommes (la « masculinité » comme injonction à être fort, prendre des initiatives, être un meneur, éviter toute forme de faiblesse, être « beau et musclé » afin de plaire…) sont incomparables, et incomparablement moindres face aux implications du Patriarcat sur les non-Hommes. Ce « sexisme inversé » est, au même titre que le mythe du « racisme anti-blanc », un argument réactionnaire censé mettre sur un pied d’égalité ( !) les violences subies par des conditions radicalement différentes, où l’Homme sortira toujours vainqueur tant ce qu’il peut subir a pour contrepartie des privilèges décisifs et centraux à nos sociétés industrielles patriarcales.

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« Dur ou mou », y en a pour tous les goûts

La publicité en question est faite par Halter Bonbons AG et vante les mérites de ses caramels, qui sont justement disponibles en plusieurs gammes de « dureté ». Sur l’affiche, on peut voir, devant un mur de paille, un mannequin masculin correspondant aux clichés de la masculinité publique, un corps imberbe et bronzé, modelé par un nombre d’heures de fitness qui donne le tournis, servi par un masque niais où trônent un sourire artificiellement formé et coloré, et un regard qui porte au loin tel l’aventurier playboy en pleine introspection.

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Une fois passée cette impression de ne pas être étonné-e de l’absence d’étonnement, il reste à se rappeler qu’il s’agit de vendre des caramels dont la cible première est « jeune » – pour ne pas dire infantile – et que le mec en question n’est pas seul sur l’affiche. Le côté « rural » est en effet renforcé par la présence d’un veau (quel rapport avec les caramels ?) qui tète sympathiquement un jean dont l’absence de ceinture donne à ce dernier une « taille basse » des plus suggestives. Cette scène des plus émouvantes et sensuelles porte pour notice de compréhension : « DUR OU MOU ? »

De nouveaux outils : bon sens logique et évidences

Devant s’expliquer suite à la plainte, Halter s’est défendu par le « bon sens logique » vu que « la campagne met en évidence le fait que les caramels sont disponibles dans une variante dure et une variante molle ». Merci, on n’avait pas compris. Et comme ce sont des bonbons au lait, il y a un veau pour faire le lien… Que le veau en question ne produise pas de lait mais en consomme ne semble pas poser de problème.

Le mannequin quant à lui s’avère tout aussi logiquement « adapté » à ce qu’il est censé représenter, c’est-à-dire à ce à quoi correspond évidemment l’exemple même du « jeune fermier dynamique » en Suisse. A nouveau, on avait oublié que le paysan suisse avait suffisamment de temps libre et d’intérêt pour le fitness, le pilate, le wellness, la manucure, le coiffeur de mode, le solarium, l’esthéticien-ne, nutritionniste, dermatologue, hygiénistes dentaires (à plusieurs vu la dentition),… et tout ce qui peut servir à combler nos angoisses contre de l’argent et qui nous prend notre temps de vie qu’on n’a pas encore vendu contre de l’argent.

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Face à cela, il était logique et évident que « pour le consommateur moyen, le sujet ne constitue ni une stéréotypisation, une sexualisation ou une réduction du sexe masculin à un objet », et que la plainte soit en conséquence rejetée. Sentant venir le verdict, le formulaire de la plainte contenait aussi une suggestion anecdotique et osée, mais qui avait le mérite de pousser le raisonnement jusqu’au bout (et de faire du bruit, comme on le verra par la suite). Une remarque quant au rapport (sexuel ?) qu’il pouvait y avoir entre un veau avide de téter et un toyboy masculin au jeans anormalement baissé ? Mais la CSL, étant progressiste et se posant envers et contre toute morale puritaine, n’a pas admis le reproche, et cela sans autre considération.

Au final, la CSL aura su trancher dans le juste et dans l’équité car, même si « on peut certes discuter sur la raison pour laquelle le mannequin est torse nu », il s’avère qu’il « n’est pas inhabituel que les paysans se mettent torse nu lorsqu’ils effectuent des travaux pénibles ». Un lien évident, « même pour le consommateur moyen »[1]

« Nous ne sommes pas sexistes car on maltraite les hommes et les femmes »

Dans son avis de défense, Halter Bonbons AG affirme « se distancier clairement vis-à-vis de toute publicité discriminatoire à l’égard des sexes », et cela semble principalement se justifier par le fait que l’entreprise prétend avoir fait subir le même traitement publicitaire à une « paysanne moderne » :

« Les affiches doivent donner une impression jeune et dynamique, d’où le choix d’un paysan et d’une paysanne modernes, ce qui correspond également à la réalité. A titre de comparaison, vous trouverez ci-joint la femme avec la vache, qui font pendant à l’homme sur l’affiche. Notre campagne n’est donc pas une publicité discriminatoire à l’égard des sexes, ce qui, à notre avis, est clairement visible. »

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Ainsi, aucun des sexes n’est discriminés car les deux – vu qu’il n’y a bien-sûr que deux identités sexuelles – sont la cible du sexisme marchand. De plus, cela n’est pas « sexiste » car les personnes utilisées correspondent « à la réalité » ; réalité qui est de faire passer un ancien candidat « Mister suisse » et future star de téléréalité pour un paysan moderne travaillant habituellement à torse nu.

A cela on ajoute, de manière anecdotique dans la campagne, une autre aguiche « féminine » qui comme toutes les paysannes modernes est habillée « traditionnellement » – ce qui ne sera pas sans pousser certains à crier au sexisme face à tant de tissus, tant l’égalité de traitement « torse-nu » n’est pas respectée dans la campagne de publicité – et qui est affublée d’un corps dont on ne croirait pas qu’il ait déjà eu l’occasion d’effectuer de quelconques activités agricoles. Mais c’est peut-être ça la modernité paysanne…

Du sensationnel pour désamorcer la critique

Cette histoire a été relayée par ce qui nous sert de presse quotidienne[2], ce qui n’est pas sans nous éclairer sur ce qui a été compris pour ce qui est des raisons de la plainte. Et de manière bien déplorablement attendue, les idées qui ressortent sont « interdiction », « zoophilie » et « débouté ». Si l’on reconstruit le script que met en scène cet article, il s’agirait d’une plainte issue du « politiquement correct », liberticide, qui verrait le mal partout et qui, ayant du temps à perdre, n’aurait rien d’autre à faire que de tenter d’interdire ce que sa paranoïa pudibonde condamne, et cela pour son unique et seul intérêt personnel.

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Il n’en faut pas plus pour que la question du sexisme marchand soit instantanément évacuée au profit d’un article vide de toute substance, donnant à ses lecteurs du croustillant à se mettre sous la dent, tout en leur fournissant la satisfaction de pouvoir se sentir appartenir à ceux qui sont suffisamment éclairés pour ne pas se rabaisser à interdire quoique ce soit, pour ne pas être suffisamment rustre pour aller à l’encontre des libertés individuelles. Autant de matière à se conforter parmi en faisant de toute critique adverse une attaque réactionnaire. Ou quand le sexisme se voit désirable dès qu’on prétend lui fait porter les atours de la Modernité, du Nouveau, du Progrès, de l’Ouverture d’Esprit.

Résignation est complicité

Un article aussi fade que la publicité qui lui a donné vie, et des argumentaires aussi convenus que la réponse de la CSL sur cette publicité. Et même s’il s’agissait cette fois d’un « homme » qui se voit maltraité, il est à noté que celui-ci, même réduit à l’état de cliché aguichant, possède toujours à ses côtés son fidèle accessoire féminin, sorte d’aguiche à l’aguiche le mettant en valeur, sans pour autant prendre trop de place. Il y a quand même des hiérarchies à ne pas outrepasser. Il manquerait plus qu’elle lui pique la vedette… ou pire, qu’elle semble indépendante de lui…

Un article aussi anecdotique que cette publicité qu’il a pour cible, et pourtant l’un et l’autre reflète ce que l’on accepte tacitement, passivement, avec une résignation contagieuse et un poison de tolérance. Au-delà de ces étalages visuels de ce que produisent nos sociétés industrielles, il y a surtout la volonté de constamment se rappeler qu’au-travers ces attaques envers la publicité et ses défenseurs, c’est avant tout le projet de n’en faire que le prétexte à des attaques à la racine de ce qui peut constituer nos individualités formatées. Tout commence par le fait d’accepter de prendre la pilule rouge.

sinfest-patriarchy-2011-10-09[3]

JS


[2] http://www.tdg.ch/vivre/societe/Non-cette-pub-n-est-ni-sexiste-ou-zoophile/story/28097908; http://www.24heures.ch/vivre/societe/Non-cette-pub-n-est-ni-sexiste-ou-zoophile/story/28097908

[3] Patriarchy by Tatsuya Ishida