De l’aliénation publicitaire (IV) : Votre problème à vous, c’est l’humour !

C’est bien connu, envers et contre la grande distribution et les tyrannies privées appelées multinationales, il est toujours préférable de consommer local et indépendant. Aussi, après avoir gouté à Burger King, il est temps de voir de quoi sont capables nos petites entreprises lausannoises pour ce qui est de nous vendre tout et surtout n’importe quoi à l’aide d’affiches bien recherchées. Force est de constater que l’entreprise en question (3xW Sàarl) se débrouille pas trop mal au niveau de l’usage publicitaire du sexisme marchand. D’autant plus qu’elle nous gratifie d’une communication privée (adressée au plaignant pour le convaincre du bien-fondé de l’affiche en question) d’une richesse qu’on n’aurait pas osé espérer.

« Le ravalement de façade, ça nous connait »

La publicité en question prend place dans le flyer du programme d’un festival de musiques électroniques lausannois, et l’entreprise en question semble être une agence s’occupant de promotion sur Internet et sur les téléphones portables (« web and mobile solution » parce que ça le fait mieux en anglais, même si on ne comprend pas concrètement ce que ça recoupe…). Sur la photo, on peut voir une moitié inférieure de tête, la bouche entrouverte et souriante d’un mannequin – toujours au sens premier de présentoir simili-humain – possédant des attributs mammaires défiant les lois de la gravité. Autrement dit, une bouche sexualisée au possible (bouche entrouverte, lèvres reluisantes et sourires suggestifs) et une paire de seins surdimensionnée à peine cachée par quelques petits bouts de tissus (pourtant biens solides pour tenir le coup) pour vendre des services promotionnels par le biais d’un encart publicitaire orné des subtils jeux de mot « soignez votre vitrine sur le web » et « le ravalement de façade ça nous connait ».

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Passant outre le jargon des peintres en bâtiments, la « façade » en question se voit présentée comme illustration de ce que serait, pour l’entreprise, une bonne stratégie de vente de soi par le biais du ravalement esthétique adapté. En effet, il s’agit, selon eux, de faire la démonstration de leurs capacités publicitaires par le biais d’une publicité efficace au sens d’une communication physique et verbale qui se vende bien. Faire un parallèle avec les injonctions patriarcales quotidiennes de la bonne tenue et de la bonne esthétique féminines ne serait pas audacieux car, ici, on ne fait pas que vendre, on vous dresse pour que vous puissiez vous aussi vous vendre, que ce soit sur le marché du travail ou sur le marché matrimonial, seuls signes d’accomplissement individuel. On vous l’a dit, l’important c’est de soigner sa vitrine…

« Le problème dans notre pub, c’est votre humour »

Face à cela, la CSL a eu le courage, le cran et l’audace d’accepter la plainte et de désigner le « décolleté » comme servant « exclusivement d’aguiche pour l’annonce publicitaire » sans « qu’il n’existe aucun lien naturel entre la femme représentée comme un pur objet et le contenu vanté. » Une belle leçon de courage et de lucidité tant cela était plus subtile qu’on ne le croyait (cf. voir ci-dessous). D’autant plus que la CSL semble avoir été tout juste convaincue vu que, malgré sa recevabilité potentielle, l’argument humoristique n’est, ici, pas suffisamment convaincant. En effet, malgré toute la subtilité de l’annonce, il « ne parvient pas à occulter le fait qu’on recourt ici au décolleté d’une femme représentée comme pur objet » . Autre manière de dire que l’affiche est condamnée car l’humour qui y est utilisé n’est pas suffisamment efficace pour en faire oublier un sexisme si flagrant que même la CSL ne peut l’occulter en faisant semblant de ne pas le voir.

Confrontée à la convocation de la CSL, l’entreprise en question a tenté de se défendre en mettant en avant « le caractère humoristique de la publicité qui s’adresserait à un jeune public âgé de 16 à 35 ans ». De plus, « il s’agirait d’une action unique dans le cadre du guide du festival où l’annonce publicitaire aurait été publiée. On voit ici apparaitre un des plus beaux atours de la discrimination (de genre, de classe ou de race), celui qui excuse tout et fait passer ses contradicteurs/trices pour d’austères personnes suffisamment attardées ou frustrées pour ne pas en comprendre les subtilités : l’Humour.

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Dans ce cas-là, l’Humour se voit « pimpé » par l’habituel esprit de jeunisme qui prétend le justifier. La publicité utilise l’humour, et comme elle s’adresse à un public « jeune », il s’agit d’un humour « jeune ». Donc soit on rigole, soit on se résigne à ne plus être jeune. Autant de stratégies marketing pour rendre acceptable le sexisme marchand en misant sur les angoisses de la vieillesse que ces mêmes publicitaires nous inculquent.

Finalement, s’y ajoute l’argument (paradoxal) tout aussi répandu du « en fait c’était qu’une petite publicité limitée et restreinte ». Autre manière de révéler la mauvaise foi de l’annonceur qui protège ses arrières sachant que sa publicité n’est finalement pas exempte de toute critique. A quoi bon soi-disant amoindrir la portée de la publicité en question si celle-ci n’est pas discriminatoire ? Et à quoi bon investir autant de moyens dans une publicité dont l’affichage serait « limité et restreint » ? Décidément, les voix de la publicité nous sont impénétrables, et ils ne vont pas se retenir nous le faire comprendre.

Nous sommes déçus en bien de votre plainte: contresens et mauvaise foi

Heureusement, au-delà de la pauvreté formelle et sèche des prises de position de la CSL, cette plainte a eu pour bienfait de faire sortir du bois les annonceurs incriminés. Et c’est en essayant de se justifier qu’il nous donne les moyens de s’étonner d’être étonné-e face à cet étalage de mauvaise foi se couvrant de toutes les parures possibles pour en déguiser l’immonde déconsidération humaine. En effet, c’est une mécanique bien connue de la « culture du viol » que de détourner la présomption de culpabilité sur la victime, tout comme il s’agit ici de détourner l’origine du problème sur l’attaque qui est portée, c’est-à-dire sur la personne qui se plaint.

Dans cette boîte-à-outils, on a pu voir être mobilisés l’humour (ici réitéré : « Tout d’abord, nous sommes désolés que vous n’ayez pas saisi le caractère humoristique et le second degré de notre annonce ») et la portée relativisée (la publicité en question fut distribuée « seulement à certains endroits fréquentés par la cible du festival » et n’est « plus en circulation »). On peut ensuite y ajouter d’autres techniques ne lésinant pas sur le contre-sens, la contradiction, voire le non-sens. Autant dire que ces personnes ne s’encombrent pas de cohérence quand il s’agit de réfuter en bloc une plainte pour sexisme, tout en essayant d’atteindre à la crédibilité de la personne plaignante de manière tout à fait paternaliste et infantilisante. Tour d’horizon.

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Alors qu’il s’agissait selon eux « d’une action ponctuelle visant à créer une réflexion et faire sourire les festivaliers en utilisant certains codes sociaux poussés à l’extrême », celui-ci s’empresse de s’excuser d’avoir heurté « votre sensibilité », autre manière de dire que la publicité ne pose pas de problème en soi, mais que votre sensibilité est suffisamment pénible –et, implicitement, isolée – pour les emmerder avec des détails qui ne préoccupent que vous. D’autant plus qu’ils ont eu « un excellent retour sur cette dernière, et ceci autant de la part de femmes que d’hommes », et, autre outil habituel, si des femmes n’ont pas vu de problèmes dans cette publicité, c’est qu’il n’y en pas réellement. Peut-être devrions-nous consulter car « la majorité a bien compris le caractère humoristique du message »… on en vient finalement à croire que si l’on dénonce ce genre de publicité, c’est parce que c’est nous qui avons un problème, inadapté-e-s que nous sommes à l’air du temps.

Cela devient carrément absurde quand l’entreprise attaquée essaie de nous prendre par la main en nous faisant croire qu’elle nous a en fait précédé dans la lutte contre la discrimination, avançant qu’ « une critique sociale est bien évidemment inscrite en filigrane dans notre message, qui visait justement à appuyer le fait que notre société devenait de plus en plus immorale quant à l’utilisation des corps féminins et/ou masculins. » Et là on s’excuserait presque de n’être que second-e dans la critique du sexisme marchand et de ne pas avoir vu qu’on attaquait finalement un allié. Quelle bêtise que la nôtre de n’avoir rien compris à leur annonce alors qu’on est du même bord. En plus de ne rien comprendre à la publicité, on en vient à être suffisamment stupides pour attaquer les mauvaises personnes.

On passe ensuite aux arguments technico-pratiques où –attention, ce qui va suivre n’a aucun sens – l’annonce n’est pas sexiste parce qu’en fait elle n’était pas destinée à être efficace. Ainsi, alors qu’ils pensaient « évidemment pas décrocher des contrats sur la base d’une annonce pareille », on se sent à nouveau ridicule face au fait que ces personnes, celle qui savent mieux se battre que nous vu qu’elles visaient par cette publicité à faire un « clin d’œil remettant en question nos rapports à la publicité », ne faisaient qu’utiliser le Concept. Plus précisément, cette campagne de publicité n’était en fait qu’un Test (et non pas une énième et insupportable annonce issue du sexisme marchand) destiné à Blablabla pseudo-technique[1].

Des bonnes résolutions d’une leçon du sexisme marchand

Finalement, on s’excuserait presque d’avoir interféré dans cette importante étude à laquelle on a rien compris mais qui nous aura été utile vu qu’elle nous aura surtout permis de voir que notre humour était défaillant ou inexistant, que l’on n’appartenait pas à la « jeunesse » vu notre incapacité à comprendre le message de la publicité, que l’on était même pas capable de se battre correctement contre ce que l’on croit dénoncer, et que nous sommes si peu doué-e-s de savoir-vivre que l’on a même pas pris la peine de les contacter directement, pressé-e-s que l’on étaient à aller se réfugier derrière la bienfaitrice CSL, qui elle-seule pouvait combler la honte de notre absence d’ouverture au dialogue (« nous sommes désolés du fait que vous n’ayez pas choisi de nous contacter directement pour faire entendre votre opinion et soyez passé par le biais d’un organe officiel. Nous sommes des personnes ouvertes au dialogue et aurions préféré échanger avec vous autour d’un café. »).

Heureusement, nous ne sommes pas que des raté-e-s vu que notre plainte n’aura pas été totalement stupide et contre-productive car comme nous le dit l’entreprise en question, nous tendant magnanimement leur bienveillante main du haut de leur prétention : « votre lettre nous rassure, il reste encore quelques personnes défendant certains principes. » Nous voilà rassuré-e-s, et grâce à leurs remarques et leurs conseils sur notre incompétence évidente, grâce à cette correction bien méritée, on a bien compris la leçon et on nous y reprendra plus à l’avenir: on vous attaquera d’autant plus fort, envers et contre votre mauvaise-foi omnipotente censée vous couvrir de tout retour critique qui risquerait de remettre en question ce que vous défendez à tout prix, vos privilèges de genre, de classe et de race !

JS


[1] Le paragraphe en question ne veut absolument rien dire mais comporte des termes comme « métaphore », « réactions du public », « campagne de communication », « études de marchés », « analyses typologiques », « concepts », « pourcentage représentatif », « angle d’attaque ». Autant d’éléments d’un jargon sur la technicité scientifique de cette chose incompréhensible. Qui oserait être contre la science ?